Le 11 mai 2011, la Commission spéciale bioéthique de l'Assemblée nationale s'est prononcée en faveur d'un régime d'autorisation pour la recherche sur l'embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines (CSEH), validant ainsi le vote des sénateurs un mois plus tôt. Un amendement du rapporteur Jean Leonetti visant à rétablir le régime d'interdiction avec dérogations, a été rejeté par 21 voix contre 19.
Or, la recherche sur les cellules embryonnaires humaines impliquant la destruction de l'embryon humain pose un problème éthique. Souvent considéré par l'opinion publique comme une affaire de spécialistes, cet enjeu reste éloigné des préoccupations des citoyens. Pourtant, il engage l'avenir de la société. La notion de "progrès thérapeutique" associée à ces recherches et l'affichage de mécanismes de contrôle comme ceux de l'Agence de Biomédecine et de l'AFSSAPS alimentent un sentiment de confiance. Initialement en filigrane, les enjeux véritables de ces recherches, portés notamment par Les Entreprises du Médicament émergent. Ils sont d'abord commerciaux. Et ils sont considérables.
Les cellules embryonnaires humaines : quelle utilité thérapeutique ? L'enjeu scientifique des hES qui ont été découvertes en 1990 n'est plus prioritairement de parvenir à des thérapies, objectif difficile à atteindre, mais d'utiliser ces cellules pour modéliser des maladies et cribler des molécules au profit de l'industrie pharmaceutique. Pour ces travaux de recherche, les cellules humaines induites pluripotentes (iPS) découvertes fin 2007 concurrencent efficacement les cellules embryonnaires humaines, sans poser de problème éthique. Issues des cellules de la peau des patients, les iPS ont permis de modéliser plus d'une dizaine de maladies en seulement 3 ans. Les annonces qui affirmeraient le contraire enferment les patients, les familles, l'opinion publique, les médias et les responsables politiques dans l'idée erronée selon laquelle la recherche sur les maladies génétiques ne pourrait désormais progresser que grâce aux embryons humains.
L'embryon humain, un "matériau" rentable ? En moyenne, le développement d'un nouveau médicament pour les grandes entreprises pharmaceutiques prend 15 ans et coûte environ 650 millions de dollars. Cela signifie qu'en utilisant les cellules souches embryonnaires pour tester de nouvelles molécules, l'industrie pharmaceutique pourrait réduire ses investissements sur les essais en supprimant des étapes coûteuses, notamment celles sur le modèle animal. L'industrie pharmaceutique mondiale pourrait économiser environ 8 milliards de dollars par an3 actuellement nécessaires à la modélisation de nouvelles molécules thérapeutiques. Or, cette même économie pourrait être réalisée en utilisant des iPS.
Un enjeu réel : la brevetabilité du vivant. Le 10 mars 2011, la cour de Justice de l'Union Européenne a rendu public l'avis de son procureur Yves Bot sur la brevetabilité et l'utilisation à des fins industrielles ou commerciales de l'embryon humain et des hES. Ses conclusions, fondées sur la directive 98/44 de l'Union Européenne, sont en contradiction avec les arguments des partisans d'une libéralisation de la recherche sur l'embryon humain. L'avis refuse en effet toute utilisation commerciale ou industrielle de l'embryon. Il inclut dans la protection qui est due au corps humain, les recherches sur les lignées de cellules souches embryonnaires.
La tentation utilitariste de la médecine constatée aujourd'hui dans nos sociétés, et que l'on retrouve en pointillé dans un nombre grandissant de débats, se justifie toujours au nom du progrès, mais lequel ? Comment ce progrès peut-il se prévaloir d'une idéologie qui réduit la science à un outil de valorisation économique et industrielle des résultats et de leur utilité ? A coup sûr, une politique réduite à l'utilitarisme et au pragmatisme sans valeurs conduirait à l'abandon des préoccupations éthiques ; celles-là même qui garantissent une certaine indépendance des scientifiques vis-à-vis des intérêts économiques.