L’embryon humain vu par les scientifiques

Texte paru au Figaro, à La Croix et sur Atlantico.fr le 10 juillet 2013

Une proposition de Loi devait être discutée à l’Assemblée Nationale le 11 juillet prochain en vue d’autoriser la recherche scientifique sur les embryons humains. Le débat a été déplacé à la dernière minute au 10 juillet.

Notre réflexion a donc été de savoir quelle place occupait l’embryon humain dans nos sociétés d’un point de vue médical et de quels éclairages scientifiques nous disposions. Nous nous opposons à ce projet pour plusieurs raisons :

- du point de vue scientifique, l’embryon est défini comme un organisme en développement depuis la première division jusqu’au stade où les principaux organes sont formés. Ainsi si l’on ne peut scientifiquement attribuer à l’embryon humain la qualité de personne humaine, il n’en demeure pas moins que l’embryon humain correspond bien à une période de développement de l’être humain. Au cours de cette période qui précède celle du fœtus, du nouveau-né, de l’enfant puis de l’adulte, cet organisme vivant ne change pas de nature : s’il était humain il reste humain. Et cela, l’examen scientifique, largement conforté par la génétique, peut l’affirmer dès l’analyse des premières cellules. Non seulement ces cellules se distinguent, pourrait-on dire, matériellement, de cellules d’autres espèces, mais elles sont porteuses d’une seule et même identité qui en fait un être unique.

- si le scientifique en tant que scientifique ne peut affirmer qu’un « embryon est une personne humaine », il ne peut davantage affirmer qu’un « embryon n’est pas une personne humaine ». Si tout positionnement sur cette question n’entre pas dans le registre de son champ d’observation, alors, par simple principe de précaution, le scientifique dans le doute, ne devrait pas considérer l’embryon humain comme un outil mais bien le respecter dans la dynamique de son développement en tant qu’être humain, organisme vivant. - du point de vue médical, il est important de rappeler que l’embryon dispose d’un statut de patient. Ainsi, il se trouve au cœur d'un grand nombre de pratiques médicales visant à le protéger de divers facteurs endogènes et exogènes susceptibles de nuire au développement embryonnaire ou fœtal : stress maternel, interactions médicamenteuses, rayonnements ionisants. Les techniques de diagnostic prénatal se définissent d’ailleurs en tant que “diagnostic porté sur l'embryon”.

- enfin, les avancées actuelles en médecine régénérative sur lesquelles de nombreux pays ont investi des moyens humains et matériels importants pour la recherche, se sont faites sur les cellules souches adultes – avec, déjà des applications pratiques et des perspectives importantes – et les cellules iPS (induced pluripotency stem cells), dont la découverte a valu à son découvreur, le Pr Yamanaka, le récent prix Nobel de Médecine. Or, aucune de ces voies de recherche prometteuses ne pose de problème éthique. En effet, aucune de ces cellules adultes ou iPS ne constituent un organisme en développement.

En ces temps où les moyens financiers sont comptés, il serait raisonnable de ne pas accorder des fonds à des études expérimentales à partir d’embryons humains qui, malgré plus de vingt ans de recherche n’ont pas abouti à des applications thérapeutiques. A ceux qui pensent que la France, en n’autorisant pas cette recherche sur l’embryon, serait à la remorque des autres nations, il apparaitrait opportun de les informer du retard pris inconsidérément dans les recherches sur les cellules adultes et iPS qui, pourtant, concentrent tout l’intérêt de débouchés avec des thérapies innovantes dans de nombreuses pathologies, dans des délais prévisibles. Les progrès scientifiques approfondissent nos connaissances et attestent chaque jour davantage de la contribution consubstantielle de l’embryon à l’histoire de chaque être humain. Nous demandons que cette singularité soit respectée en n’exposant pas l’embryon à une expérimentation qui conduise à le détruire. Nous craignons que, privé de la complexité de ses repères scientifiques, ce projet de loi n’expose notre société à des positions qui seront éthiquement injustifiables.

Pr Emmanuel Sapin
Dr Alexandra Henrion-Caude
Pr Alain Privat
Pr Claude Huriet